Citoyens de quel monde ?

J’ai écrit récemment un bref billet aux allures de courrier destiné à m’expliquer sur les raisons pour lesquelles je souhaitais être compté parmi les « Charlie ».
Je pense que les personnes qui l’auront lu s’attendent – et je suis du même avis qu’elles – à me voir m’exprimer sur les récents morts du campus de Garissa. Au Kenya.
Le prétexte-mobile et les bourreaux sont les mêmes : des barbus illuminés menant une guerre anachronique qu’ils qualifient de sainte se sont établis en défenseur de Dieu à travers un islam radical.
Résultat : 148 personnes, faites martyres de la connaissance et de la liberté. Leur massacre devrait être retenu par l’histoire comme un coup rude porté à plusieurs siècles de perfectionnement de l’humanité. C’est un déni de l’abandon volontaire, par l’humanité, de la barbarie.
C’est un crime tout court et l’alignement d’épithètes, aussi nombreux soient-ils, ne réussirait ni à le faire paraître moins horrible, ni à le rendre plus acceptable.
Un pays privé de 148 cerveaux ; chèrement formés pour servir leur pays et 148 personnes arrachées à l’affection de leurs proches.
Le monde devrait pleurer ce drame.
L’Afrique est endeuillée… Ou plutôt, elle devrait se sentir tout entière en deuil.
Hier déjà, mes frères africains, adeptes des finesses de l’esprit critique et observateurs aux regards aiguisés avaient décelé le « Complot ».
Grâce à leur habilité singulière à raisonner et à défendre des causes, ils avaient décrié le mutisme des Européens autour des nombreux drames ayant quotidiennement lieu en Afrique. Ils avaient dénoncé l’excessif battage médiatique autour des attentats français pourtant si pauvres en victimes. Ils avaient brandi des chiffres records de personnes tuées dans les attaques de Boko Haram.
J’admets qu’ils ont bien fait de partager avec nous leur raisonnement. D’ailleurs, les récentes attaques au Kenya leur ont servi d’illustration.
Ils s’en sont pris à tous ceux qui avaient, avec empressement, changé d’identité pour devenir « Charlie » et qui, à leur goût, montraient moins d’enthousiasme et de promptitude à devenir « Kenya ».
Toutefois, si j’ai l(honneur d’être lu par vous, ô chères éminences grises, permettez-moi quelques interrogations en vue de mieux comprendre les faits.
Par quel média a-t-on appris partout dans le monde cette malheureuse prise d’otages qui s’est achevée dans ce si déplorable bain de sang ?
Quel média africain, des télévisions nationales aux privées, a dépêché sur les lieux des envoyés spéciaux pour se faire l’écho de ce drame alors qu’ils sont tous régulièrement représentés aux différentes éditions de la CAN ?
Enfin, n’est-ce pas quelque peu malsain d’avoir tout de suite cherché à comparer la mobilisation autour de Charlie Hebdo à celle autour des assassinats du Kenya?
Peut-être devrions-nous arrêter de voir toujours ailleurs nos ennemis et les responsables de nos maux.
Nous devrions être toujours en train de nous remettre en cause et ne point essayer d’imputer nos échecs et nos déboires aux autres. Qui d’autre que nous devait parler de ces évènements ?
Au-delà même de ce nous si africain, et pourtant si exclusif, nous devrions nous représenter comme citoyen de ce monde ci ; et non d’un autre qui est à venir ou à construire.
Car c’est chaque citoyen qui participe à la construction de son environnement, de sa cité. Si nous nous en excluons, nous ne devons pas être très étonnés de nous voir toujours oubliés et relégués au second plan.
Tant que nous refuserons de participer à la construction de ce monde-ci, cette civilisation n’aura de cesse de nous vomir.
Alors de quel monde serons-nous finalement les citoyens ?
Crédit photo:
Commentaires